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l’oubli en entreprise

Chez Tikamoon, danseurs et salariés recréent L’Oubli dans un entrepôt

 

Avec les complicité des dirigeants, le Ballet du Nord a préparé différents temps d’immersion et de création au sein de l’entreprise Tikamoon. Un projet qui a mobilisé pendant plus de trois mois quatre artistes et une dizaine de salariés volontaires. 

 

Tikamoon & Ballet du Nord – Réalisation : Léonard Barbier-Hourdin

Le Ballet du Nord s’infiltre dans des lieux qui peuvent paraître étonnants, sinon incongrus. Après des centres hospitaliers, des gares, des librairies, trois danseurs se retrouvent au beau milieu des cartons et des palettes dans l’entrepôt santois de l’entreprise Tikamoon.

Malgré la préparation, Sylvain, Julien et Maxime ne savent pas vraiment à quoi s’attendre avant de rejoindre les salariés dans la cellule F de l’entrepôt. C’est une première pour les danseurs du Ballet du Nord que de se fondre dans cet environnement si particulier, et de surcroît sans être annoncés. Armés de gilets de sécurité et d’une sacrée résistance au froid, nos trois drôles d’intérimaires suivent de près les logisticiens qui chargent, scannent, emballent, transportent, déchargent les lourds meubles de bois, mais en ajoutant çà et là un mouvement dansé, comme une parenthèse poétique fugace.

Pour les salariés aussi c’est une première : jamais des nouvelles recrues ne s’étaient mises à danser jusqu’alors. Les danseurs s’emparent de leurs gestes professionnels et les continuent, rentrent dans leur espace vital. Certains techniciens sont interloqués, voire dubitatifs, d’autres ne se laissent pas démonter et osent à leur tour une pirouette ou une volute. Pendant trois jours, ces étranges phénomènes envahissent les entrepôts.

immersion chez tikamoon
Sylvain Groud avec des salariés de Tikamoon

Après cette première rencontre immersive entre la danse et la logistique, le chorégraphe tombe le masque et reprend son rôle d’artiste toujours à la recherche de nouvelles créations : une heure chaque semaine est consacrée à la rencontre des deux univers. Sylvain apporte avec lui “ses outils” pour les partager avec les salariés surpris qui se prennent au jeu. Il leur donne les clés pour convoquer l’estime de soi au bon endroit. Les volontaires se prêtent à des battles, aux jeux des baguettes ou de contrepoids. Ils redécouvrent leurs gestes professionnels, précis et calibrés au millimètre, et réalisent au bout du compte qu’il s’agit d’une chorégraphie.

Passer du geste professionnel au geste artistique

En une dizaine d’ateliers, l’artiste crée un espace où les employés sont à l’écoute de leur corps, prennent le temps d’accueillir le regard de l’autre et trouvent un prolongement poétique à leurs gestes professionnels, qui passent alors du geste habituel au geste artistique. L’enjeu est de faire réaliser à l’amateur qui partage ces expériences qu’il est aussi responsable que le chorégraphe de ce qui se crée, de le projeter dans l’action et d’éviter la consommation passive, de lui montrer qu’il est définitivement producteur de gestes. Ces journées d’ateliers débouchent sur la mise en place du spectacle participatif L’Oubli.

l'oubli à Tikamoon
Représentation de L’Oubli à Tikamoon avec Maxime Vanhove et Céline Lefèvre

Le duo L’Oubli est une pièce in situ largement diffusée qui comporte un tableau participatif à construire avec un groupe de danseurs-amateurs. La pièce a été déclinée et adaptée à des contextes et des publics variés : dans un établissement de santé, avec une classe de collégiens, en clôture d’un événement culturel, lors de célébrations institutionnelles… Celui présenté chez Tikamoon est teinté davantage encore de singularité car le tableau participatif a pris la forme d’une vidéo.

Pendant les trois jours d’immersion, le vidéaste Léonard Barbier-Hourdin a installé ses caméras au cœur des cellules de stockage. Il suit de près les postures et les mouvements techniques adoptés uniformément par les employés et les danseurs dissimulés parmi eux. Une fresque qui dépeint avec poésie le chemin parcouru par les deux équipes qu’on n’imaginait pas si proches auparavant.

“J’en venais à me demander qui étaient les danseurs et qui étaient les logisticiens.”

Quand vient le jour de la représentation, le vendredi 10 janvier – et alors que certains peut-être pensent déjà à s’évader pour le week-end – l’ensemble des salariés, logisticiens comme créatifs, est convié dans un théâtre éphémère assemblé au milieu de l’entrepôt. Quelques un semblent un peu désorientés, mais tout le monde se laisse vite captiver par le duo fantomatique qui se débat dans cet espace vidé de tout obstacle, avant de laisser place à la vidéo et aux salariés qui envoûtent à leur tour leurs collègues :

 « Étonnant, perturbant, déroutant, envoûtant … comme déconnectée pendant ce moment de poésie. J’en venais à me demander qui étaient les danseurs et qui étaient les logisticiens. En me laissant porter par ce qu’il se passait, j’avais tellement envie de les suivre, de voir tout le monde se lever et accompagner leurs gestes »  écrira une des employées-spectatrices de L’Oubli.

L’expérience de la rencontre entre le Ballet du Nord et Tikamoon n’aura laissé personne indifférent. Les réactions des uns et des autres, les difficultés et réticences parfois rencontrées dans la mise en œuvre de ce projet sont à l’image même de celui-ci : une aventure  à la fois collective et personnelle qui aura su mettre en exergue les différences et sensibilités de chacun à travers une nouvelle façon d’appréhender son monde.

Chez Tikamoon et au Ballet du Nord, personne ne regardera plus la logistique et la danse de la même façon. 

tikamoon
direction, salariés et danseurs à la fin de la représentation